La danse du destin

Sarajevo, 12 ans après
portraits

la fillette qui jouait dans une carcasse de voiture

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L’endroit où j’a vais pris la photo de la fillette qui jouait dans une carcasse de voiture au milieu d’un parking derrière l’Holiday Inn était méconnaissable: les immeubles en ruines avaient été démolis, et d’autres avaient pris leur place. Tout l’environnement avait changé. J’ai laissé des copies de la photo avec un message qui a été affiché. Le lendemain, la mère de la fillette m’appelait. Au rendez-vous avec la fille, je ne croyais pas à mes yeux.

« Je suis Hana Dapo . Je suis bien surprise que tu aies réussi à me retrouver grâce à cette photo que ma maîtresse d’école a vu. Je ne me rappelle pas ces moments mais je me souviens que dans lors des moments de cessez-le-feu je m’amusais en secret de mes parents à jouer avec les carcasses de voitures.Je viens de terminer mes études à l’Institut de Management Commercial, une grande école de commerce. Maintenant, je veux me spécialiser dans le marketing et j’espère que je vais devenir un grand dirigeant dans l’industrie du marketing. Je m’emploie de toute force pour terminer mes études et devenir la meilleure dans ce domaine et intégrer une grande entreprise. Mais la carrière professionnelle n’est pas tout dans la vie: je veux me réveiller le matin entourée des personnes que j’aime, avoir une famille et mes amis autour de moi et les aider à concrétiser leurs rêves et ambitions. »

inquiétude pour le futur des jeunes

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Le marbrier Topcagic n’a jamais arrêté de sculpter des tombes pendant la guerre. Issu de l’Académie des Beaux Arts, la demande pour des pierres tombales était bien plus grande que celle pour ses créations artistiques. Aujourd’hui il continue à travailler dans son atelier submergé de poussière; ses cheveux ont blanchi à cause de la poussière, de l’âge ou peut-être à cause de ses propres soucis… En tout cas ses affaires semblent bien tourner; pendant qu’il vieillit un jeune assistant l’aide et il va bientôt prendre la relève.

Il me parle de son inquiétude pour le futur des jeunes … 

«  Sarajevo ça va pour ceux qui ont du travail, mais pour les autres?

Il y a une ambiance, une atmosphère de transition mais nous ne comprenons pas cette transition. C’est un problème… Des problèmes… Nous ne comprenons pas la transition vers l’Europe. Les routes, les maisons, tout est différent, tout est différent… La démocratie, tout est différent…Et puis les années passent… Quinze ans… Quinze ans et maintenant moi, il me reste peut-être encore cinq ans, et puis plus rien…Quelle est ma mission ? Pourquoi je travaille? Tous sont tristes, sans raison, plus ou moins sans travail, mais tristes, tous.

Et qu’ils aient des diplômes ou non, c’est pareil pour tous. C’est pareil.La guerre n’a pas changé le cerveau ou les pensées des gens… Beaucoup de bon propos, mais après rien. Quand c’est le moment de montrer ce qu’ on a appris de l’ histoire c’est encore la même chose, on répète les mêmes erreurs. De nouvelles personnes, de nouveaux amis, ça serait bien.Mais nous, nous ne pouvons pas y arriver. Nous ne pouvons pas…On a trop de vécu. Maintenant, il y a la nouvelle génération.

Les jeunes, eux, ils devraient s’en sortir, mais nous, nous ne savons pas, nous ne sommes pas faits pour ça, nous sommes différents, ancrés à notre passé trop lourd, notre Tito et le reste… Nous n’arrivons pas à aller de l’avant… à prendre un nouveau chemin, nous ne voyons pas l’Europe. Pas d’Europe ici…On va avoir des voitures, des impôts des choses nouvelles, mais pas d’autre choix… Non pas d’autres possibilités de choisirC’est comme ça.Pour les jeunes, les jeunes, ça ce sera pour les jeunes…le grand changement.Mais pour nous, rien ne change, rien ne va se passer…Dans 4-5 ans je suis à la retraite… Les gens nés la même année que moi, nous attendons de partir… Moi et les gens de ma génération…Nous avons beaucoup d’énergie, nous avons connu Markovic, le Marxisme, pendant trente ans… Dix ans d’inflation… Une année d’embargo et les problèmes… Quatre ans de guerre… Ça fait quinze ans… Et six ans d’après guerre, ça fait vingt et un ans, plus les trente ans de contraintes… On ne peut pas résister, c’est trop dur…Toutes ces longues années ont changé nos pensées »

A l ‘Opera…

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douze ans plus tôt, une jeune fille y répétait à la barre chaque jour, jusqu’à ce que l’école de ballet ferme car il était devenu trop dangereux de danser face aux snipers. Exposées aux tirs, les vitres de la salle de répétition étaient criblées d’impacts de balles et d’obus. Tandis que les jeunes danseurs étaient appelés au front, cette danseuse n’avait de cesse de travailler en solo le Lac des Cygnes en solo….Dans cette danse des destins, elle aussi avait disparu sans laisser de traces.

Seule ma danseuse avait disparu. Peut-être à jamais…

Tijana la musicienne

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J’ ai retrouvé Tijana presque par hasard: je me trouvais à l’ académie de musique à la recherche des jeunes musicien que j’ avais photographié pendant le siège. Malheureusement aucune d’entre eux n’avait continué sa carrière professionnelle dans la musique. Une fille s’est reconnue sur une photo du Chœur du centre culturel Bosnie Club. C’était Tijana, qui à l’époque chantait dans cette chorale de filles des chansons traditionnelles bosniaques. Leur professeur avait décédé, et aujourd’hui c’est elle qui dirige cette même chorale. Ce n’est pas tout, car elle s’est engagée à fond dans la musique: elle accompagne les cours de danse classique au piano, chante et joue dans des concerts rock et…en général, tout ce qui a voir avec la culture l’intéresse.

« Je m’appelle Tijana Viknimic. Je suis professeur d’orchestre dans l’école de musique. J’ai étudié la musique à l’académie de Sarajevo. J’essaie de transmettre le savoir et la curiosité musicale à mes élèves. Je joue tout type de musique et je dirige une chorale de femmes. Ce cœur existait en 1995. Nous essayons de présenter la Bosnie dans sa plus belle lumière. J’adore le rock et vous pouvez me voir souvent dans les concerts. J’ai beaucoup réfléchi sur le fait d’être restée ici à Sarajevo pendant le siège. J’avais l’opportunité de partir en Italie, en Allemagne ou dans les Pays Bas. Mais j’ai décidé de rester. Si j’avais quitté le pays j’aurais du mal aujourd’hui d’y retourner et de regarder les gens en face, droit dans les yeux. Mais franchement je n’ai rien contre ceux qui aujourd’hui rentrent à Sarajevo. S’ils n’étaient pas riches pour rester dans le pays d’accueil, ils peuvent se permettre de mener la belle vie en Bosnie. Je les admire presque pour leur courage ou mieux pour leur culot de se montrer parmi nous en s’exclamant souvent «on a bien souffert loin de notre pays» Je pense que les gens, et surtout les jeunes doivent rester en Bosnie et se battre pour avoir une société et une vie meilleure car si tout le monde part qui va construire ce pays? Sûrement pas la vieille garde. On a besoin de la nouvelle génération. Sarajevo n’est pas malheureusement la même ville d’avant le conflit. Beaucoup de monde est parti, d’autres sont arrivés de la campagne et des villages tout autour avec différentes exigences. C’est ce qu’on appelle «urbicide»

Beaucoup de monde qui vit aujourd’hui ici n’est pas sensible à la culture. Par exemple, il n’y a pas assez de public aux concerts, aux exhibitions, aux rencontres littéraires. On va avoir beaucoup de festivals, de musique, littérature, art, mais le public n’est pas présent. C’est pour cela qu’il faut éduquer les gens.

Il faut empêcher que la ville ne devienne à jamais un village elle doit redevenir un centre culturel de la Bosnie et des Balkans. »

Dans le cimetière, les snipers

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Dans le printemps ‘94 je suis passé près du cimetière sur la colline de la ville où, au milieu des vieilles tombes musulmanes, des enfants jouaient «à la guerre». Ils imitaient les snipers qui, du haut des collines, visaient leurs cibles. Parmi les photos j’ai choisi celle où Jasmin et Dzenan étaient ensemble, mais, à ma surprise, je découvre qu’ils ne se connaissaient pas, et qu’ils avaient juste joué quelques jours ensemble lors du déplacement de leurs familles dans ce quartier.

On est retourné au même endroit, qui a bien changé depuis. Ils ont entamé une conversation en essayant de faire remonter les souvenirs de cette période.

Dzenan : Mon Dieu, cela fait si longtemps. On était si petits et si on s’était rencontré dans la rue ou dans un café on ne se serait pas reconnus. C’est un ami de mon frère qui a vu la photo dans le magasin près du cimetière et qui m’a reconnu et conduit le photographe chez moi. Après mes parents t’ont reconnu. Moi, je ne pouvais pas me souvenir de ta tête ni des enfants avec qui je jouais à l’époque.

Jasmin : Moi non plus. On a vécu près du cimetière pendant le siège. Nos maisons étaient dans des zones à trop haut risque. Mais après on s’est perdu de vue. C’est donc grâce à cette photo si on se retrouve. Moi, je suis en première année d’école générale…

Dzenan : Moi, je suis en première année d’école de tourisme. J’espère de bien terminer mon année.

Rien de vraiment important chez moi. Je m’entraîne au handball, mais je le fais pour éviter de rester dans la rue et bien sûr je cours derrière les filles!

Jasmin : Moi aussi je traîne derrière les filles. Mais comment va ta famille là haut, à la maison…

Dzenan : comme d’habitude, mon frère va bien, son travail marche bien. Tout va bien et toi ?

Jasmin : Bien. J’ai eu un petit frère…

Dzenan : Quel chance… il vaut mieux avoir un frère qu’être tout seul mon ami.

Jasmin : C’est sûr. Est-ce que qu’il y a des filles dans ton école.

Dzenan : Les chances sont minces … Mais il y en a en ville. Sarajevo est pleine de belles filles. Il suffit de bouger un peu; elles sont partout! Où est que tu sors?

Jasmin : Je fréquente beaucoup de petits cafés dans le centre et à Bascarsija. Peut-être dans les mêmes où tu vas, mais comme je t’ai déjà dit on ne se serait pas reconnus. Enfin maintenant ça va être différent, du moins j’espère.

Dzenan : Dis donc, tu me laisses ton adresse e-mail?

La vitre

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Aldin et Amel ne se connaissaient pas pendant le conflit. Leurs familles avaient été déplacées dans le quartier où j’avais pris la photo. Ils avaient joué ensemble quelque fois avec d’autres enfants au milieu des carcasses de voitures dans un parking. Puis ils étaient rentrées dans leurs zones d’origine. Impossible de retrouver cet endroit pour moi avant que le quotidien Havas décide de me suivre dans mes démarches en publiant l’image prise en ’94. Ainsi la mère d’ Aldin a reconnu son fils et aussi son petit copain de jeux. Tout s’était passé trop vite à l’époque et peut être seulement aujourd’hui ils vont se lier rencontrer à nouveau. Après 12 ans ils se parlent:

Aldin : Qu’est-ce que tu fais?

Amel : Je termine mes études. Des études ferroviaires. Et toi?

Aldin : Je suis en première classe.

Amel : Je vais peut-être continuer en … métallurgie…

Aldin : Ok qu’est-ce que tu fais encore?

Amel : Je m’entraîne au basket…

Aldin- Où ça?

Amel : Je voulais le faire aussi mais c’est trop tard. Ils ont refusé de me prendre car je suis trop vieux. Je me suis entraîné dans quatre clubs et maintenant je joue dans la rue.Je m’entraîne aussi dans une salle.

Aldin : Moi aussi.

Amel : Où est-ce que tu sors?

Aldin : Je suis souvent au Ixu.

Amel : Moi aussi mais je ne t’ai jamais vu.

Aldin : Je ne viens pas le samedi car il y a des choses qui se passent. Tu le sais… Je suis là-bas vendredi et dimanche.

Amel : Moi, j’y suis tous les jours avec mes amis. Viens me rejoindre. De huit heures à une heure du matin. On va s’amuser et parler de nous!

Le jeu du tramway

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Anisa et Almedina. Pendant des moments de cessez le feu les enfants jouaient au «tramway» sur la place près de la Bibliothèque Nationale: le «vrai» tram ne circulait plus depuis le début du siège. Par mes recherches je découvre que ces enfants étaient originaires d’autres quartiers, des déplacées.

En passant par les écoles , les collèges, les universités j’ ai pu retracer Anisa qui étude médecine et Almedina, étudiante en agriculture. J’ai organisé un rencontre là où 12 ans auparavant ils avaient joué tous ensemble. Mais au rendez-vous il y avait aussi des surprises, des histoire inattendues.

Enfin Anisa et Almedina se rencontrent après beaucoup d’années et plongent dans leurs souvenirs et récits.

Anisa : Ce fou de photographe,est passé par l’école primaire, le lycée, et est remonté jusqu’à’ à la faculté de médecine où j’étudie, pour me retrouver .Il a fait le tour de la ville 3 fois!

Almedina : Enfin pas si fou que ça, tu vois! Après tout, nous revoilà ensemble. Qui l’aurait jamais imaginé?

Anisa : Moi, je t’ai reconnu sans hésitation sur la photo. Mais, franchement, je n’ai qu’un vague souvenir de nos jeux sur la place quand il n’ y avait pas de tirs d’obus depuis les collines. Toute ma famille a déménagé. On vivait là-bas, loin de nos quartiers.

Il paraît qu’il a fait le tour de toutes les facultés de Sarajevo avant de te retrouver dans celle d’ Agriculture

Almedina : Exactement. Je suis en deuxième année. Mais, pourquoi les autres ne sont pas ici ?

Anisa : Il a trouvé Aicha. Tu te rappelles d’elle. Elle a 21 ans aujourd’hui. Elle est mariée et mère de deux enfants. Mais pas de chance pour elle: elle a épousé un un musulman intégriste. Elle s’habille complètement en noir. On peut seulement voir ses yeux ! Son mari n’a pas voulu qu’elle soit sur la photo.

Almedina : Déjà à l’époque, elle portait des robes noires.Mais les autres?

Anisa – Le “grand garçon” à gauche, je ne me souviens pas de son nom. Il paraît qu’il est mort lorsque la guerre était sur le point de se terminer. Après, c’est toi avec une robe rouge trop grande pour toi. Là, c’est Amila qui a émigré en Suisse, puis Ivana avec son T-shirt jaune de l’équipe d’Italie avec ses parents et Aida, je crois car je ne suis pas sûre de son prénom, en jogging fuchsia. Elle vit en Macédoine, à Skopje.

Almedina : Drôles de destinées que les nôtres. On jouait ensemble sur les lignes du tramway. Nos chemins se sont séparés pour finir par se recroiser et toutes les deux, nous faisons des études à l’ Université.

Anisa – Le temps passe si vite!

Almedina : Justement. Il faut que je rentre dans ma banlieue à Stup. C’est là que je vis. J’ai beaucoup de retard dans la préparation de mes examens. Il faut que je travaille dur ce soir. Mais, c’est promis la semaine prochaine, on se voit à nouveau. On a tellement de choses à se dire!

Les Jumeaux

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Les deux jumeaux Nadir et Faruk étaient bien heureux en 1994 quand, entre un couvre feux et l’ autre, ils allaient récupérer des colis humanitaires avec leurs grand-mère.

A l ‘époque, attendre en file indienne pour recevoir du sucre et de la farine, pour eux, était comme un jeu. Une des rares occasions pour sortir de la maison. Je me suis baladé une semaine autour de la colline de Bistrik avant de retrouver ces deux adolescents: ils ont beaucoup changé ainsi que leurs vies. Aisha, leur grand-mère n’est plus là; elle avait survécu les bombes mais elle a succombé à l’ âge. Les deux garçons sont toujours inséparables mais s’habillent strictement de façon différente…

«Je m’appelle Faruk Telalovic. Je suis les cours de l’école de médecine dans la branche de physiothérapie. Je me rappelle de ma grand-mère Aisha. Elle nous gardait, mon frère jumeau Nadir et moi. Ella nous emmenait récupérer les colis d’aide humanitaire entre deux bombardements. Je me souviens encore du bruit des bombes.»

Nadir – «A l’époque, attendre en file indienne pour recevoir du sucre et de la farine nous amusait beaucoup. Quand notre grand-mère nous faisait signe qu’il était temps d’ y aller , nous éprouvions une grande joie. C’était une des rares occasions de sortir de la maison. Aujourd’hui, grâce à Dieu tout a changé mais elle n’est plus là.»

Faruk «Mon passe-temps préféré est le foot et on s’entraîne pour l’équipe de NK Zeljeznicar, un club bosniaque de Sarajevo

Eh oui, nous faisons tout ensemble: l’école, les sorties en ville, l’entraînement. Nous sommes ensemble en classe, nous nous entraidons toujours … mais nous nous battons aussi.

Nous aimons les mêmes choses sauf d’avoir à porter les mêmes vêtements»

Namik et son mouton

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Namik ne se balade plus avec son mouton. Aujourd’hui, faute de moyens, Namik continue à vivre chez ses parents et travaille comme chauffeur de taxi. il aimerait changer de travail. Malgré la précarité, il garde le moral avec un brin d’humour et l’espoir, un jour, de changer de métier.

« J’ai terminé mes études et après j’ai trouvé un poste de chauffeur de taxi. Tu as remarqué: on t’a indiqué où j‘habite mais c’était difficile de me trouver à la maison! Je travaille 12 heures par jour et dans un mois je peux prendre seulement 2 jours de repos. Aujourd’hui c’est un de ces jours.

Tu as donc de la chance de me trouver. Je n’ai pas trop à me plaindre par contre. Je connais beaucoup de jeunes qui n’arrivent pas à trouver un travail. On est dans une situation de transition et il faut attendre encore quelques années pour voir de nettes améliorations de la vie de tout le monde.

Les gens préfèrent marcher ou utiliser le tramway et le bus plutôt que le taxi. Par manque de moyens… J’espère que la société pour laquelle je travaille ne fermera pas car la concurrence est grande.

Je sens qu’il y a un futur ici dans ma ville. C’est pour cela je n’ai pas envisagé de partir à l’étranger. Je rêve de l’Italie, la France, la Grèce mais seulement pour il y aller une ou deux semaines en vacances. C’est seulement une question de temps: après les choses iront mieux. Les jeunes ont besoin d’une vie meilleure. Enfin, il faut sourire après tout ce qu’on a vécu! »

Sevala, la « pierre » de Bascarsija pendant le siège

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Dès le début de mes recherches tout le monde s’arrêtait sur la photo de cette femme qui pendant la guerre, habillée en costume traditionnel, vendait des journaux tous les jours devant la Mosquée.

On m’avait assuré qu’il était très facile de la rencontrer, surtout le matin dans la rue piétonne.

Mais, après trois semaines de recherche, elle avait quatre noms différents, cinq adresses et certains croyaient qu’elle était décédé. A la quatrième semaine de recherche, quand désormais cette rencontre semblait impossible et mon espoir de la retrouver se perdait, une jeune fille m’a dit de me présenter le matin très tôt devant la distribution de pain et de farine fait par la ville pour aider des familles défavorisées. Sevala était là. J’ai eu du mal à la reconnaître: elle n’était plus en robe traditionnelle, elle ne portait plus le foulard, sa peau n’était plus blanche comme avant, elle avait vieilli mais toujours aussi belle et ses yeux clairs encore rayonnants. Elle m’a ainsi parlé, d’une voix émue et sur le point des larmes:

«Merci, merci beaucoup. Je suis Sevala. Vous êtes la première personnes depuis 15 ans qui me demande mon nom,qui s’intéresse a moi. Je pouvais disparaître et personne ne s’en serait aperçu.

J’ai vendu les journaux pendant et après la guerre, pendant plus de 15 ans. Je suis la « pierre » de Bascarsija, (le vieux quartier historique). Toute la ville m’achetait des journaux, mais personne ne s’intéressait à moi. Jamais on me m’a demandé autre chose que des journaux, personne ne m’a jamais invitée boire un café.Tout le monde me connaît mais personne ne sais qui je suis».

Je suis touché par ses mot et je me laisse convaincre de la suivre chez elle dans son petit appartement du Novo Sarajevo. Dans un ascenseur déglingué, on monte lentement jusqu’au 16ème étage d’une tour bien délabrée.

«Welcome to Sarajevo», s’exclame-t-elle en poussant la porte d’entrée. Un petit appartement lui aussi bien en ruines, qui montre encore des traces évidentes du conflit. Faute d’argent, pas d’eau, pas d’électricité!

«Entre je vais te montrer ma Yougoslavie».

Je ne comprend pas .

Elle ouvre une grosse boite d’où elle sort son passé: son diplôme de langue arabe, ses photos en voyage à Belgrade, ses photos d’ étudiante, son «cher Tito», le club des joueurs de l’ Ex-Yougoslavie mais surtout son vieux précieux passeport Yougoslave.

La petite Nejra avec ses fleurs

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Il aurait été impossible de retrouver la jeune fille assise sur la voiture détruite avec son petit bouquet de fleurs si le quotidien Havas n’avait pas publié la photo de Nejra et sa mère ne l’avait pas reconnue. J’ai pu enfin lui rendre visite dans sa maison d’origine abandonnée pendant le siège. La gamine est devenue une charmante jeune femme mais sa passion pour les fleures n’a pas changé.

 » Aujourd’hui on a vite oublié une chose essentielle: nous avons survécu, nous sommes en vie et en bonne santé. Malgré cela on éprouve le besoin de se plaindre et de s’inventer toutes sortes de problèmes. Pendant le siège, on pensait juste à oublier le quotidien, la guerre et on s’occupait afin que notre temps passe plus vite. On faisait des jeux sans aucune relation avec l’ argent car nous étions tous pareils. Si on avait un petit morceau de chocolat nous le partagions avec nos voisins et nos amis. Nous étions contents de partager et nous occupions nos soirée a jouer et lire des livres ou faire des choses pas vraiment adaptés à notre âge, mais ce n’ était pas important. Actuellement nous avons beaucoup de choix et nous pouvons choisir de regarder tel ou tel film, entre différentes activités mais cela ne nous rend pas pour autant heureux. On se sent seuls, isolés .

J’aimerais bien étudier l’horticulture, m’occuper des fleurs et prendre du plaisir dans mon travail. J’aimerais bien continuer ma vie avec les gens que j’aime et ne pas perdre mon temps avec les gens qui voient la vie en noir. Je veux vivre entourée de fleurs, dans mon jardin ou dans un champ de tournesols car cette fleur se tourne toujours vers le soleil. »

Minela à la gym

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Minela aujourd’hui a 20 ans; elle a perdu son élasticité mais son visage, alors un peu mélancolique, a tourné vers une joie de vivre évidente et son sourire est devenu…explosif ! Comme pour les autres enfants, les parents de Minela encourageaient leur fille à entamer des l’activités dans les endroits fermés et donc plus sûres…La gymnastique n’aurait jamais été sont vrai avenir, mais un passe-temps; aujourd’hui elle travaille dans un cabinet dentaire.

«Pourquoi j’ai arrêté la gymnastique? 1995 je suis allé en Angleterre pour une compétition, je n’avais pas de grandes ambitions mais j’ aimais beaucoup me mettre à l’épreuve et j’avais des résultat. Trois mois après, je me suis cassé le bras et j’arrêtai les entraînements. Je suis tombée de la barre en faisant un exercice. Après cela j’ai terminé mes études et aujourd’hui je suis technicienne dentiste dans un cabinet.

Je ne suis pas sûre, mais peut-être qu’un jour je vais me remettre à la gymnastique. Peut-être pour me distraire et aussi pour retrouver un peu d’élasticité. Cela me manque de temps en temps…la gymnastique et tout ce qu’il y a autour du succès sportif !

Je suis nerveuse, parfois je me sens agitée… mais je souris à la vie.»

Jasmine dans le refuge, pendant le siège

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Jasmine, âgée de huit ou neuf ans, était dans un bunker de Cengik Vila pendant le printemps 1994: elle attendait la fin de bombardements. Aujourd’hui plus de traces de bunker dans ce quartier mais une gardienne de l’école a reconnu la fillette. Aujourd’hui elle a un caractère fort et ambitieux: elle parle couramment anglais, elle a travaillé pour des organisations internationales, elle s’est engagée sur des programmes d’assistance aux enfants traumatisés par la guerre. Jasmin s’est forgé un sacré caractère, très critique envers les jeunes de sa génération qui, selon elle, n’osent pas prendre des initiatives et cherchent la «dolce vita»…

« A Sarajevo, une majorité de jeunes a pris l’habitude de se plaindre de la situation: pas de travail donc pas de moyen mais tout ce qu’il font c’est de rester assis aux terrasses de café en attendant passivement que quelque chose change.

On trouvera une solution à cette situation seulement quand les jeunes commenceront à s’activer et à se réaliser dans quelque chose qu’ils aiment sans attendre les changements de l’extérieur et des autres.

En politique, c’est la même attitude: on s’intéresse peu ou pas du tout aux personnes qui nous dirigent donc on ne peut pas choisir ceux qui représentent le mieux nos idées et nos idéaux; en revanche on est toujours en train de se plaindre des vieux dinosaures que nous avons nous-mêmes élus. Les choses ne vont pas changer tout de suite. Les enfants de la guerre sont en train de grandir aujourd’hui et cherchent à avoir toujours plus et plus vite et sont loin d’être indépendants, même psychologiquement, de leur famille. Cela este un gros problème psychologique.

Ces jeunes cherchent du respect mais ils ne font rien pour mériter cela. Ils ne travaillent pas, ne terminent pas leurs études; ils se promènent toute la journée dans la ville, comme perdus.Une génération de paumés on dirait!

Ils doivent faire quelque chose pour mériter ce respect, cette dignité. Mon père, n’a jamais cessé de travailler pendant la guerre, malgré qu’il ait été blessé, s’est battu pour apporter à la maison de quoi survivre. Lui a obtenu notre respect et le respect de tout le monde qui le connaît. .

Pour ce qui est de mon avenir, j’ai pleins de projets: d’abord terminer mes étudies puis me trouver une maison pour moi-même et réaliser mon indépendance. Je ne veux pas me marier trop tôt; je veux d’abord me faire une situation, devenir quelqu’un mais tout en étant entourée de ma famille et de mes amis. »

Mesko et Elma

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Beaucoup d’histoires tournent autour d’Elma, de Minela et des autres filles qui, toute jeunes, suivaient des cours de gymnastique de Mesko, leur professeur.

Au fil des années la passion pour le sport – toujours qu’elle ait existé au paravent – s’est évanouie. Les filles ont grandi…

Mesko (à Elma) : Tu vois, après 12 ans puisque je t’ai beaucoup grondé, aujourd’hui je t’offre un bouquet de fleurs

Elma – J’accepte tes excuses Je me demande pourquoi nous avons arrêté de nous voir…

Minela : je pense qu’avec la reprise de l’école nous avions beaucoup de travail. L’entraînement n’avait pas trop sens, nous n’étions pas très motivés. Par contre nous avions passé de bons moments tous ensemble, cela était utile.

Je me suis promise que mon enfant, un jour, fera pareil.

Elma : Le poids psychologique de la guerre était grand.

Les bombes tombaient et nous allions nous entraîner quand même.

Des entraînements difficiles, 3 heures tout de même… Je buvais un demi-litre d’eau après… Personne ne nous accompagnait pour les entraînements. Rappelle-toi de Melissa elle devrait rentrer toute seule sur la colline. Il n’y avait pas de compétition à l’époque.

Mesko : Mais bien sûr que si, une petite équipe est allée à Zenica, à Touzla. Il y avait même une fille qui est partie à Portugal.

Elle a été longtemps applaudie. J’ai encore sa photo et les unes des journaux. Elle avait un jogging trop grand pour elle.

Je suis quand même heureux que personne n’ait été blessé pendant les voyages ou les entraînements.

Je me rappelle d’une bombe qui est tombée tout près et qui a emporté une famille entière. On s’est enfui pour se mettre à l’ abri.

Elma : Moi aussi, je me souviens…

Mesko : Tu te rappelles quand on a attendu trois jours pour notre voyage en Turquie car ils avaient fermé les aéroports.

Le prénom de mes meilleurs gymnastes commence toujours par I. Ildja…

Elma : Alors nous ne sommes pas dans ta liste…

Mesko : C’est une période dont je me souviens souvent et qui me réchauffe le coeur. Vous n’ avez pas eu des très bons résultats comparé à celles qui sont venues après vous. On a même eu la championne de Slovénie…

Elma : No !?

Mesko : Il faut préciser qu’en Italie, sur seize équipes, les Slovènes se sont classées seizièmes. Ca s’est bien passé mais je vous dis que j’ai préféré travailler avec vous. Les rapports n’étaient pas seulement professionnels mais aussi émotionnels. Vous ne vous rappelez pas de toutes nos balades à Trebevic?

Quand le temps le permettait, nous nous entraînions dans le parc.

Je pense que ces moments restent gravés dans mon cœur.

Je me rappelle de la compétition…Minela est sortie pour se chauffer… Mais qu’ont elle a vu la russe champion du monde…Elle demandait les autographes .Nous somme arrivé au premier entraînement … «Minela on va s’entraîner?» Elle m’a répondu après avoir regardé les autres qu’ elle préférait aller se promener…

Minela : Qu’est se que tu veut qu’on fasse. Je ne me suis pas entraîné depuis un mois

 Mesko : Mais quand nous sommes arrivé à Zagreb tous le monde regardé

Minela. Elle était bien.Les gens ne comprenaient pas comment nous faisions pour aller faire les compétitions à l’étranger.

Medisa a percé sont ampoule avant l’exercice. Elma a eu la diarrhée en Italie. Elle n’ a pas arrêté d’aller aux toilettes entre une épreuve et l’autre à cause d’ une Coca Cola… elle a faillie chier dans sa culotte… J’ai eu peur que ça gicle en faisant les sauts! C’ était un spectacle!

Elma : J’ ai la chair de poule quand je vois les gymnastes à la télé ou ailleurs…

Mesko : J’étais touché quand il m’a ramené les photos dans la salle, cela m’a fait penser à beaucoup de choses et je me rappelle de vous comme des enfants et devant moi je retrouve de jolies femmes.

Elma : Femmes? Tu exagères je viens d’avoir mon bac et je vais m’inscrire à l’ université. Quand je suis entrée dans la salle, tout me paraissait petit.

Le balcon n’existait pas avant. Est-ce qu’il était là avant?

Mesko : Bien sûr qu’il était là!

La famille des gitans

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Beaucoup de choses ont changé dans la vie de la famille tzigane Demala.

Apres 3 jours de recherche tout azimut et des fausses pistes qui m’ont dirigé en vain aux quatre coins de la ville je découvre que cette famille habite un nouvel appartement dans Otez, banlieue proche de la ville.

Atida a divorcé et son mari, est parti vivre dans un camp gitan en Italie. Mais Bekim Valentina, Ganimeta, Isaia, Sanson vivent encore ensemble. Les plus jeunes vont à l’école et les autres….cherchent du travail. Un travail bien dur à trouver, Bekim aimerait repartir avec moi.

Atida ( la mère ): Nous vivons ici, à Otez dans ce nouvel appartement qui est bien mais pas suffisamment grand car nous avons beaucoup d’ enfants.

Malgré les apparences, les conditions de vie sont devenues très difficiles. Nous n’avons pas de travail, donc rien à se mettre sous la dent.

Il y a beaucoup de pauvreté en Bosnie. Mon ex-mari, le bel homme avec le chapeau dans ta vieille photo, est parti en Italie dans le camp gitan à Florence. Il m’a laissée avec huit enfants. Je suis avec un nouveau mari depuis sept ans. Il est malade et je prends moi-même de l’insuline. Quand je prends l’insuline, je tombe dans les pommes si je n’ai rien mangé. J’ai beaucoup de peine. J’ai beaucoup de dettes, mais de toute façon je n’ai pas de quoi les régler. Je reçois très peu d’argent. Mais comme tu peux voir, on est tous la, on survit. Tous sauf ma mère qui est morte il y a quelques années. Elle était âgée. Valentina (la petite fille assise en bas plus a droite) non plus n’est pas là: elle est partie en Allemagne pour faire fortune! Est-ce que tu pourrais nous aider à avoir un visa pour l’Italie? Au moins pour mon fils?

Ganimeta, la petite fille timide

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La petite Ganimeta, fillette à l’air timide, avait grandi et est aujourd’hui une ravissante adolescente qui s’habille comme les copines, fréquente l’école et tente de s’éloigner de plus en plus du mode de vie et des traditions tziganes.«C’est moi, c’est moi!» Elle se reconnaît dans un portrait où tout timide et inquiète elle regarde dansle vide, les mains posées sur la bouche.«Là j’avais 9 ans. Maintenant je vais en avoir 21. Toi maman tu exagères.Grâce à Dieu, nous sommes tous vivants. Grâce à Dieu aucun d’entre nous aété blessé et nous ne sont pas restés handicapés. Mais nous survivons difficilementcar nous n’avons pas de travail mais au fond de nous-mêmes nous sommes heureux!»

Ganimeta se laisse photographier dans la même attitude qu’il y a 12 ans maiselle a beaucoup changé et de ses yeux émanent la joie de vivre d’ une jeune fille.

«Aujourd’hui je vais à l’école et je rattrape le temps et les études perdus.J’aime sortir avec mes amis et un jour j’aimerais me marier»

Les filles de Bistrik

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Les 4 fillettes jouaient insouciantes dans l’ herbe sur la colline, à l’ abris des snipers.

Aujourd’hui sur les collines de la ville l’herbe a beaucoup poussée et personne n’y joue plus; par chance, j’ ai rencontré une vielle femme qui a reconnu Amra et Leila en photo. Elles sont retournées à Grbavica, dans leurs maison d’ origine. Je les ai cherchés dans les Université et dans leurs quartiers, désormais refaits à neuf.

Enfin je suis arrivé à les trouver. Emerveillées, elles vont m’aider à trouver les autres deux fillettes et, grâce à la mobilisation conjointe de leurs familles et amis, voici que aussi le petit groupe est complet!

Mais il y a une chose qui me frappe encore dans cette histoire; depuis ce temps la les filles ne se fréquentaient pas et elles ne se rappelaient même pas les nomes de leurs anciennes copines de jeux

Elvira : J’ai terminé mes études de pharmacie. Mais Je vais m’inscrire à la fac de Droit. Demain, c’est la fête de la fin d’année…

Merima et moi somme heureuses de nous retrouver. Grâce à ta photo et à tes recherches nous voilà réunies comme il y a ….12 ans.

Amra : Comme notre vie a changé! Nos familles sont vite retournées dans leurs maisons et on s’est vraiment perdues de vue. C’est vraiment incroyable, magique, que tu nous amène à nous retrouver… On a tellement changé. Grâce à nos parents qui nous ont indiqué les noms de nos amies de jeux, nous avons pu nous retrouver car toutes seule, je n’y serais jamais parvenue. C’est le signe du destin…

Merima : Moi, j’étudie à la faculté de Sciences Islamiques.Pourquoi le voile. C’est un choix que personne ne m’a imposé. Dans ma famille, la religion n’a pas un rôle si prédominant. Un jour, j’ai senti que je devais prendre ce chemin. J’espère que c’est le bon. Et toi, Amra, si j’ai bien compris, tu poursuis des études de criminologie. Drôle de choix pour une fille aussi sensible et délicate que toi autant que je souvienne. Leila, tu as fais le bon choix: celui du droit. Ainsi, tu vas nous défendre pour toutes nos conneries passées, présentes et futures!

Elvira : Un instant: nos bêtises sont si énormes que peut être on va avoir besoin de deux avocats…moi aussi, je vais m’inscrire à la faculté de droit.

Amra : Peut être vous avez oublié cette histoire. Merima et moi étions inséparable et Elvira et Leila, peut-être un peu jalouses de notre complicité s’unissaient dans leur méchanceté contre nous. Elvira s’est fâchée avec Merima, Amra s’est fâchée avec Lejla, et Leila, pour se venger, m’a jeté des tomates pourries à la figure. Je garde toujours des traces de ses tomates pourries

Enfin, à part nos petites bêtises et quelques épisodes graves de la guerre, nous gardons de beaux souvenirs de notre enfance. L’école, l’activité théâtrale avec nos pièces improvisées, la petite bibliothèque, l’aide humanitaire. Tout cela, c’était le bonheur pour nous…

Les oiseaux prisonniers de Fikret

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Les oiseaux de Fikret Libovac, sculpteur et professeur à l’ académie des beaux arts ont enfin retrouvé la liberté et ont repris leurs couleurs; pendant la guerre ils étaient enfermés dans leur cage comme l’étaient les habitants de Sarajevo, assiégées dans leur ville martyre.

«La première fois, nous nous sommes rencontrés il y a 12 ans, pendant le siège de la ville. Tu essayais de prendre des photos de quelques artistes qui refusaient de fuir la Bosnie-Herzégovine. C’était leur résistance: la résistance de l’esprit, celle de mes oiseaux en cage. J’étais dans une période où je sculptais des oiseaux en cage. J’étais un oiseau et ma cage était cette ville. Mais maintenant c’est la paix: plus de cage, la liberté règne, les oiseaux sont colorés et font leur nid. Maintenant, c’est un autre monde à Sarajevo.»

Adi, le faux cordonnier

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Adi n’était en réalité pas un cordonnier de Bascarja. Je l’ ai découvert douze ans après quand je l’ai retrouvé dans un magasin de tapis, juste en face de l’atelier de chaussures. C’est alors qu’il m’a expliqué qu’à l’époque il était en train de garder le magasin de son ami blessé par un tir d’obus. Il était tellement amusé par ce malentendu qu’il a accepté de jouer son rôle jusqu’au bout dans la même boutique d’autrefois, complètement rénovée: le comble était qu’il m’a montré le même paire de bottes en cuir, jamais vendu.

 » Mon magasin, en réalité est celui en face, je vends des souvenirs pour touristes. Avant la guerre il y avait beaucoup de touristes d’ Europe; Italie, Allemagne, Espagne … mais maintenant les gens ont peur … Pendant le siège la ville était pleine de soldats, ils étaient mes clients.

Les soldats de l’Argentine, ils ont acheté beaucoup, ils laissaient toute leur paye ici, à Sarajevo, les Italiens aussi ils étaient de bons acheteurs, les Français pas très bon.

J’ai vendu de nombreux tapis, très vieux, même 150 ans. Maintenant, nous attendons, le pays est très intéressant, beau, alors les touristes vont sûrement revenir. »

Dans le Club d’Echecs Bosna

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Sanja, Mersa et Ivana fréquentaient souvent le club des Echecs Bosna pendant la guerre; c’était une façon de tenir occupés les enfant en les éloignant des rues où les snipers visaient leurs cibles. Mais les 3 jeunes filles ont grandi et ont abandonné les jeux. Toutefois Sanja, bien plus motivée, a continué a jouer pendant six ans et a participé à des championnats. Les 3 filles ont grandi, les échecs aussi.

Sanja : Salut Ivana, on s’est perdues de vue depuis l’époque du club d’échecs. Ca fait plus de 10 ans. Toi et Mersa, vous veniez au Club seulement parce que vos parents voulaient vous garder dans un endroit fermé, c’était plus sûr que de jouer dans les rues. Moi, j’étais une vraie passionnée et j’ai continué. J’ai arrêté les échecs il y a seulement 5 ans après avoir gagné pas mal de compétitions.

Si j’ai bien compris tu va bientôt te marier?

Ivana : C’est vrai et je suis très heureuse. J’étais fiancée depuis plusieurs années.

On part en voyage de noces en Egypte, voir les Pyramides entre autres. Je suis très excitée. En plus, c’est mon baptême de l’air, mon premier voyage en avion. J’étais inscrite à la faculté de droit ici, à Sarajevo, mais j’ai décidé d’arrêter. Après le mariage, je chercherai un travail et surtout Je désire avoir beaucoup d’ enfants.

Sanja : Moi, j’étudie à la faculté d’ Economie. J’aime beaucoup cela et j’ai des bons résultats. J’ai terminé ma deuxième année et maintenant j’ ai suffisamment de temps pour sortir avec mes amis et m’ amuser. Je n’ai pas un petit copain mais beaucoup d’amis. Et toi Mersa?

Mersa : Je suis en deuxième année de droit et depuis 5 ans j’ai un petit ami. Mais pour le moment, je garde mon indépendance: pas de mariage en vue. Il faut que je me fasse une situation avant tout.

Blessée dans sa chaire pas dans son âme

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Amra me paraît bien plus jeune qu’il y a douze ans, quand elle avait été blessée sur la ligne du front à Dobrinja et soignée dans l’hôpital aménagé dans le supermarché. Néanmoins, cela n’a pas empêché à des gens dans la rue de la reconnaître dans la photo et de m’indiquer où elle habitait.

«Je suis née le 28 avril 1962. Je suis Taureau et ça se voit n’est pas? Je travaille à l’hôpital de Kosevo. Je suis aide-soignante. Je ne suis pas mariée, chose un peu étrange ici mais pas pour moi. Je vis avec ma mère, mais j’ai mon appartement. Je suis une femme très indépendante. Je suis intéressée par tout et rien dans la vie. J’aime voyager,  j’aime les cafés, j’aime boire, j’aime m’amuser, faire la fête avec mes amis, croquer la vie, voilà tout … La vie était plus belle avant la guerre. Aujourd’hui, je vis bien mais pas comme avant… J’aime voyager, je préfère la mer, j’aime mon travail, j’aime mes amis.

J’ai été blessée pendant la guerre. Ici, sur cette vieille photo d’il y a 12 ans, j’étais à la clinique. Enfin, ce n’était pas une vraie clinique, mais on avait aménagé un hôpital avec un bloc opératoire dans l’ancien supermarché devenu aujourd’hui un centre commercial. Je suis guérie et je me sens bien. Je suis heureuse car j’ai encore mes jambes et mes bras. Je me porte bien. Bref, je suis heureuse. Cela se voit, n’est pas?»

Sanela range les livres sauvés

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Pendant la guerre cette étudiante aidait à classer les livres sauvés à l’incendie qui avais dévasté la Bibliothèque Nationale. Aujourd’hui elle est devenue un médecin reconnu dans son domaine, et travaille pour une organisation de Nations Unies. Nous sommes retournés ensemble dans la bibliothèque: elle était triste en voyant que l’endroit était encore détruit, et «ses livres» pas à leur place. Les années sont passées mais l’impression est qu’on a oublié ce que tout le monde s’était promis…

« Je suis Sanela Krehic. Je suis l’une des habitantes de Sarajevo qui est restée dans sa ville entre 1992 et 1996. Pendant cette période, je travaillais pour les bibliothèques universitaires et nationale, Entre 1994 et 1995, tu est venu me voir. Ici je suis assise au milieu de piles de livres; et ça c’était ce qui restait de notre bibliothèque,de notre culture nos livres primordiaux.

Notre refuge où moi et des collègues on essayait de répertorier et organiser au mieux ce qui n’était pas disparus dans les flammes.

En voyant ces vielles images je me rend compte ce que nous avions fait et ce que nous reste encore à faire aujourd’hui.

Regarde autour de toi: bien que notre bibliothèque ait reçu beaucoup d’aide pour sa reconstruction, elle est loin d’être ce qu’elle était auparavant, le bâtiment de Vijecnica,

Elle est encore une ruine.

Les années passent et j’ai l’impression qu’on a oublié ce que tout le monde s’était promis: avec la paix Vijecnica retournera à être magnifique comme avant, symbole et centre de la notre

Culture. C’est le moment de se bouger ou jamais. »

Le barbier de Kovaci

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Seule la décoration du magasin a changé et même pas radicalement. Chez Aziz, le barbier de Kovaci, sur la colline da Sarajevo les clients font toujours la queue. Le vieil Aziz affiche quelque ride de plus tandis qu’ Adli, son petit neveu, a aujourd’hui 14 ans et est retourné vivre à Dobrinja. Celui-ci se souvient très bien des années passées avec son grand-père loin de sa maison sur la ligne du front. Aujourd’hui il pense à son futur et après avoir fini le lycée il rêve d’un drôle de métier pour un jeune de son âge…

« Je m’appelle Adli et bientôt je vais avoir 14 ans

Ici j’ai passé des longues journées, chez mon grand-père, et aujourd’hui c’est lui qui me raconte des anecdotes de cette époque.

Notre maison de famille se trouve à Dobrinja, près de l’aéroport donc mes parents ont préféré, pendant le siège de la ville, me laisser ici dans le centre ville, lieu bien plus sur.

C’est comme ça que j’ai passé près de 4 ans au milieu de ciseaux et tondeuses.

Aujourd’hui, je suis retourné vivre avec ma famille. Je suis venu ici uniquement pour te rencontrer. J’avais envie des souvenirs! La passion pour le métier de barbier m’habite. Je pense qu’après le lycée je vais entrer dans une école de coiffure et ouvrir un salon … mais à la mode…

peut-être reprendre la boutique de mon grand-père.

Mon avenir est ici en Bosnie, à Sarajevo. Je veux me marier et avoir beaucoup d’enfant et…devenir coiffeur. »

Le rêve d’Amra

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J’avais été frappée par l’acharnement et l’ audace avec laquelle cette fille jouait le piano; couvre feu ou pas, elle était chaque matin à l’ académie de musique dans la salle des concerts, déserte. Un obus avait éventré le mur. La peur et le choc surmontés, sa passion l’avait remise au clavier car elle rêvait de devenir concertiste. Je suis allé la chercher dans la salle, l’énorme trou était encore là, à témoigner de cette époque douloureuse, ainsi que le piano. Mais elle n’y était pas, car elle avait d’autres priorités en ce moment de sa vie de jeune femme…

Je m’appelle Amra. Le mariage m’a comblée, il me semble que cela se voit!

Le petit va naître dans un mois et tout cela pour moi c’est du pur bonheur. Je me rappelle de cette photo à l’Académie de Musique, il y a 12 ans. Quelques semaines plus tôt, un obus avait éventré la salle des concerts. Apres les premiers moments de choc, ma passion de la musique a repris le dessus. J’y retournais jouer du piano, avec crainte certes, mais j’y allais régulièrement dans le but de réaliser mon rêve: faire de la musique ma profession en devenant concertiste. Pourquoi ai-je abandonné la musique? Actuellement, ce milieu ne te permet pas d’en gagner ma vie. Enfin, si tu veux bien vivre, il faut t’adapter au marché. Je pense que ça doit être un peu la même chose dans les autres pays, mais ici en Bosnie, après de longues années de guerre, la «vraie» culture n’est pas prioritaire. Ce qui prime c’est un goût sans aucune valeur artistique mais bien sûr commercial.

La musique et le chant restent une composante importante de ma vie: je consacre toujours une partie de la journée à cette passion. J’aimerais te chanter des chansons populaires bosniaques, même si mon diaphragme ne peut pas bien bouger à cause de mon ventre!

Ma situation professionnelle et ma vie en Bosnie-Herzégovine ? Malgré des études universitaires en psychologie et un master, je suis malheureusement encore au chômage.

Quand tu as un bon niveau d’études et une bonne préparation au monde du travail, si tu n’as pas des relations capables de te trouver un poste important, il est très difficile de trouver une place. La raison essentielle est la peur des personnes plus âgées vis-à-vis des jeunes diplômés car elles craignent pour leur position sociale: l’arrivée de nouvelles idées pourrait mettre en péril leurs privilèges. En conclusion, il est plus facile de trouver un travail pour les personnes avec niveau d’instruction moyen.

La situation politique et économique de mon pays m’inquiète. Il suffit de regarder autour de soi et de s’informer pour me comprendre. En dépit de tout cela je suis heureuse et pleine d’espoir car j’attends un enfant. Finalement, intérieurement c’est le bonheur